Le handicap: un sujet abordé à hauteur d’enfant

Publié le 28 septembre 2025 par Joseph
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ThémaKid
L’animation au service de la transmission et de la pédagogie

Comment parler du handicap aux enfants avec les bons mots ? Plusieurs films ont relevé le défi, avec plus ou moins de réussite, mais toujours un objectif commun : illustrer un sujet important, étonnamment peu présent dans le cinéma d’animation.

 

Dans le très beau court-métrage d’animation The Present, Jacob Frey introduit la représentation du handicap de manière très subtile. On y voit un enfant passionné par son jeu vidéo, qui prête assez peu d’attention à sa mère lorsqu’elle rentre à la maison, avec un paquet sous le bras. Dès le début, le manque de communication est flagrant, impression renforcée par la quasi-absence de dialogues dans l’ensemble du court-métrage. Le jeune garçon veut avoir l’air absorbé par son jeu vidéo, même si un regard de côté trahit son intérêt pour le paquet mystérieux.

L’atmosphère de malaise instaurée par Frey est très efficace, et on sent dès le début que ce jeune garçon ne semble pas être bien dans sa peau. On met vite ce malaise sur le compte de la crise d’ado, tout comme ce moment où, ayant découvert le chiot avec une joie bien réelle, il le met de côté immédiatement, déçu de découvrir que le chiot est amputé d’une patte.

 

The Present - Jacob Frey - 2014

 

Le rejet de la différence se traduit par un retour au conformisme du jeu vidéo. Le jeune homme n’est pas intéressé par un chiot différent des autres, avec seulement 3 pattes. Et pourtant, ce chiot, malgré ses maladresses, respire la joie de vivre à chaque instant. Une bonne humeur qui semble séduire jusqu’au jeune garçon, obligé de faire des efforts pour ne pas avoir l’air intéressé par ce chiot.

C’est alors que la vérité apparaît : si le garçon rejette la différence, c’est parce qu’il n’a pas encore accepté la sienne. Amputé de la partie inférieure de sa jambe gauche, on comprend que le jeune homme a rejeté chez le chiot ce qu’il refuse d’accepter chez lui. Mais ce que nous a montré The Present, c’est bien ce processus de l’acceptation, dont un chiot a été ici le vecteur. L’enfant a fini par se laisser séduire par la résilience de l’animal, et a compris que la meilleure manière de vivre son handicap était de l’accepter à la manière du chiot, et que le cadeau dont il est question dans le titre n’est peut-être pas tant l’animal, mais bien la leçon que celui-ci apporte au personnage et au spectateur.

 

The Present - Jacob Frey - 2014

 

Valentina

Voilà donc une jolie leçon, dont on peut retrouver un écho dans le long-métrage espagnol Valentina, sorti en 2021. Disons-le tout de suite : Valentina est loin d’être un film parfait. Les fils scénaristiques sont souvent trop épais, et la profusion de chansons à la qualité discutable gâche des bonnes intentions bien réelles.

Ce sont toutefois ces bonnes intentions qui nous intéressent, car Valentina a quelques points positifs à son crédit. Rarement (voire jamais ?) un film d’animation n’a abordé le sujet du handicap de manière aussi frontale. La démarche du film se révèle d’ailleurs très cohérente puisqu’ils ont même confié le rôle de Valentina à une comédienne atteinte de trisomie 21. Une initiative pleine de sens, qui souligne que le message du film ne se résume pas à quelques jolis mots dans le vent.

 

Valentina - Chelo Loureiro - 2021

 

Il faut dire que les premières minutes du film touchent profondément : la grand-mère de Valentina, qui est aussi sa meilleure amie, est décédée, et ses parents ne savent pas comment le lui dire. Jeune ou plus âgé, difficile pour n’importe quel spectateur de résister à une introduction pareille. Malheureusement, la suite se gâte un peu, et le scénario s’engage dans d’étonnantes directions, au risque de ne satisfaire personne. Les détours choisis éloignent le récit du sujet principal, au point de désarçonner et de perdre la part la plus jeune du public, tandis que le traitement du sujet n’est pas assez profond pour que les plus grands se satisfassent des métaphores utilisées.

C’est probablement pour cette raison que les personnages prennent régulièrement le temps de transmettre frontalement le message dans des chansons sur lesquelles chacun se fera son propre avis. Ces chansons ont au moins le mérite de transmettre le message principal du film : la différence est une chose normale, et même une force. Sur cet aspect, Valentina touche juste, et sait valoriser la différence avec intelligence et sensibilité, d’une manière accessible aux plus jeunes. Ainsi, on peut sans doute voir ce film avec bénéfice dès l’âge de 6 ans.

C’est çà la principale qualité de Valentina : réussir à mettre en place un univers coloré, voire poétique, qui sait parler frontalement du handicap à son jeune public. Il est toutefois possible que certaines scènes apparaissent relativement hermétiques, et que les chansons puissent être rédhibitoires aux spectateurs les moins patients.

 

Valentina - Chelo Loureiro - 2021

 

Dumbo

Si Valentina a le mérite d’aborder le thème primordial du handicap comme une force, ses faiblesses de réalisation en font un film plus anecdotique qu’il n’aurait dû l’être. On retrouve heureusement ces thèmes dans des films plus aboutis, qui satisferont toute sorte de publics. Ainsi, les studios Disney ont creusé cette thématique dans deux de leurs plus beaux films, à plus de cinquante ans d’écart : Dumbo et Le Bossu de Notre-Dame.

Dans Dumbo, l’idée que la différence est une force est plus subtilement illustrée que dans Valentina. Les différentes étapes du parcours initiatique de l’éléphanteau sont montrées d’une manière plus accessible. On comprend la honte et le rejet jusqu’à ce grand rêve foutraque qui a marqué tant de monde, et qui représente à merveille la confusion mentale dans laquelle se trouve le pauvre Dumbo. Puis on assiste avec un enthousiasme grandissant à la sortie du gouffre : la rencontre des corbeaux, le regain de confiance de Dumbo, l’hésitation finale au moment d’affronter le regard du public, et l’acte courageux qui permet au héros d’assumer enfin aux yeux de tous sa différence, sans avoir à en rougir. Une très belle trajectoire, qui offre un beau support de discussion entre les parents et leurs enfants pour, peut-être, expliciter certains points et faire le parallèle avec les personnes en situation de handicap. Dumbo a l’avantage d’être accessible à un public très jeune, autour de 6 ans, même s’il faudra sans doute prévoir un ou deux mouchoirs pour sécher quelques larmes. 

 

Dumbo - Ben Sharpsteen - 1941

 

Mais surtout, ce qui fait le génie de Dumbo, c’est qu’il aborde un sujet que Valentina omettait dans sa réflexion sur le handicap : celui du regard des autres. Ce n’est pas le handicap en lui-même qui rend le sujet difficile à aborder, mais le regard stigmatisant que la société porte encore trop souvent sur lui. Là où Dumbo se transforme en réflexion absolument brillante sur le handicap, c’est lorsqu’il met en scène le regard moqueur des autres. C’est ce regard qui entraîne un rejet social, une stigmatisation dont découle une marginalisation. Même ceux qui veulent aider et protéger Dumbo en font les frais, sa mère se retrouvant mise en prison pour avoir voulu défendre son fils face à tous ceux qui le harcelaient.

Si, à la fin, Dumbo réussit à changer le regard des autres, c’est parce qu’il parvient à montrer qu’il n’a plus honte de son handicap, et qu’il est capable de l’afficher devant tous sans en rougir. On assiste ainsi à ce que le sociologue Erving Goffman appelle le « retournement du stigmate », ce moment où une personne réussit à transformer en force la raison pour laquelle elle était ostracisée auparavant.

 

Dumbo - Ben Sharpsteen - 1941

 

Le Bossu de Notre-Dame

Ce stigmate est d’ailleurs illustré avec encore plus de profondeur et de noirceur dans Le Bossu de Notre-Dame (inspiré librement du roman de Victor Hugo), raison pour laquelle on le conseillera à partir d’un âge un peu plus élevé, sans doute autour de 9-10 ans. Certaines scènes font preuve d’une réelle violence psychologique, illustrée avec une justesse qui fait certainement de ce film un des meilleurs films d’animation Disney jamais réalisés.

Ici, plus de métaphore : Quasimodo est un homme bossu et au visage difforme, représentation extrêmement rare dans le monde de l’animation, et qui plus est chez un studio majeur comme Disney. Le rejet dont il est l’objet donne lieu à des scènes qui parviennent à rester accessibles à un jeune public sans occulter la dureté de la réalité pour autant. Ainsi, les enfants comprendront parfaitement l’injustice dont est victime Quasimodo lors de la Fête des Fous. Le revirement de la foule qui rejette l’homme qu’elle vient de célébrer parce qu’elle découvre que son « masque » est son vrai visage est très intéressant, et met bien à hauteur d’enfant ce sujet complexe de la discrimination et de l’intolérance absurde. L’impact psychologique potentiellement très fort de cette scène illustre bien la violence du stigmate qui pèse sur les épaules de Quasimodo. 

 

Le Bossu de Notre-Dame - Gary Trousdale, Kirk Wise - 1996

 

La différence avec Dumbo va résider dans l’acceptation finale du handicap de Quasimodo. Tandis que l’éléphanteau parvient à inverser le regard sur lui en accomplissant un exploit extraordinaire, le bossu de Notre-Dame finit par être accepté tel qu’il est, un homme comme les autres. C’est sans doute ce qui rend Quasimodo si puissant. Valentina et Dumbo nous proposaient chacun à leur manière une variation sur le thème « La différence est une force », un message largement susceptible de faire changer le regard des enfants sur ce qu’est réellement le handicap.

Mais Le Bossu de Notre-Dame va plus loin en affirmant que le handicap n’a pas besoin d’être valorisé pour être pleinement accepté. Ici, Quasimodo n’est pas rendu plus fort qu’un autre. Il est juste reconnu comme ce qu’il est : un homme, tout simplement. Pas plus, pas moins. Il est un homme au milieu des autres, comme les autres, et, enfant comme adulte, il n’est pas possible de résister à l’incroyable force de cette scène finale, une des plus belles que les studios Disney aient jamais eues à animer.

Alors qu’Esmeralda fait sortir Quasimodo de l’ombre de la cathédrale, le public a un geste naturel de recul, qui marque plus la surprise qu’un rejet conscient. Mais tandis qu’on craint que l’intolérance ne reprenne le dessus, une petite fille s’avance et, délicatement, pose sa main sur le visage difforme du bossu avant de l’embrasser. L’idée de faire passer l’acceptation du handicap par un enfant est doublement géniale : l’identification par un jeune public sera ainsi immédiate, et en outre, l’enfant est ici la représentation d’une humanité encore innocente, non corrompue, qui voit avec les yeux du cœur. C’est quand la petite fille étreint Quasimodo que le regard des adultes s’ouvre et que tous acceptent l’homme tel qu’il est.

 

Le Bossu de Notre-Dame - Gary Trousdale, Kirk Wise - 1996

 

Changer de regard

Merveilleuse leçon transmise par un vrai chef-d’œuvre, véritablement susceptible d’apprendre aux enfants et aux plus grands comment changer de regard. Car voilà ce qu’il faut retenir : la différence n’est ni une faiblesse, ni une force : elle est une réalité. Elle n’a pas à être compensée, c’est le regard des autres qui doit changer.

C’est souvent un enfant qui, par sa simplicité, montre le chemin vers un regard plus juste.

 

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